Jonathan Shaw et le cathéter Epicutanéo-cave

Vygon Group
8 min readJan 28, 2021

Bien que le sujet d’aujourd’hui porte sur les travaux du Dr Jonathan C.L. Shaw, il est important de souligner que le fait de parvenir à n’utiliser que la nutrition parentérale totale (NPT ou nutrition exclusivement par voie intraveineuse) comme seul moyen nutritionnel pour la croissance, le développement et le maintien du métabolisme, d’abord chez les animaux, puis chez l’enfant et enfin chez l’adulte, n’est pas le fruit d’un progrès réalisé du jour au lendemain, mais plutôt le résultat d’avancées scientifiques, technologiques, philosophiques et pratiques en science fondamentale et en médecine clinique auxquelles ont contribué d’innombrables chercheurs et cliniciens depuis plusieurs décennies (1).

Jonathan Shaw n’a pas été le premier à utiliser la nutrition parentérale totale (TPN) chez les nouveau-nés. Dans les années 1950 et jusqu’à la fin des années 1960, la NPT n’existait pas. La nutrition parentérale était partielle, pratiquée en même temps que la nutrition entérale (nutrition par sonde digestive). La NPT a été appliquée pour la première fois en 1967 sur des chiots Beagle par Dudrick, Rhoads et Vars. Six chiots ont été nourris par NPT de 72 à 255 jours (2).

Après cette expérience réussie, la NPT a été appliquée à une nouveau-née, qui présentait une obstruction intestinale, chez laquelle la nutrition entérale ne pouvait pas être utilisée. Les médecins ont inséré, au travers d’une aiguille, un tube en PVC dans la veine jugulaire externe du bébé et ont fixé le cathéter en créant un tunnel sous la peau (voir dessin) pour éviter tout retrait accidentel. La NPT a duré 44 jours. Le 45e jour, ils ont commencé à combiner la nutrition parentérale et la nutrition entérale. (3)

Cathéter en veine jugulaire externe et tunnellisé sous la peau

La NPT a ensuite été utilisée (en 1968) chez 30 adultes souffrant de maladies gastro-intestinales chroniques pendant des périodes de 10 à 200 jours.

Jonathan Shaw : Qui était-il ? Qu’a-t-il apporté à la médecine néonatale ?

Jonathan C.L.Shaw était un néonatologiste travaillant dans l’unité de soins intensifs néonatals de l’University College Hospital de Londres. Il y a travaillé pendant 30 ans avant de prendre sa retraite en 1999. Quel était son rôle en 1973, année de publication de son article qui a donné naissance au cathéter Epicutanéo-cave ?

- Premièrement : sur la base des travaux mentionnés ci-dessus ainsi que des études de la nutritionniste Elsie Widdowson, il a essayé de fournir aux nouveau-nés le même type de nutrition que celle qu’ils recevaient dans l’utérus de leur mère mais il l’a fait par voie intraveineuse en surmontant toutes les difficultés, par exemple un apport en calcium adéquat (si important pour la formation et la solidité des os et des dents), ce qui était alors très difficile et cela a constitué un énorme saut conceptuel. (4)

- Le deuxième mérite de Jonathan Shaw a été d’utiliser un matériau beaucoup mieux toléré que le PVC par les prématurés et les nouveau-nés : le silicone. (5)

La nutrition parentérale consistait en une solution de glucose hyperosmolaire sans graisse, d’acides aminés, de minéraux et de vitamines administrée directement dans l’oreillette droite ou dans une grosse veine centrale.

Contrairement à Dudrick qui avait utilisé la veine jugulaire externe de l’enfant (présentant une obstruction intestinale) dont il s’occupait, technique qui selon Shaw pouvait interférer avec la concentration d’oxygène inspiré, il a choisi d’autres veines, toutes périphériques : veines du cuir chevelu, veine saphène (membre inférieur), veine cubitale moyenne (veine du bras), veines du dos de la main.

Le cathéter était en silicone non radio-opaque, d’un diamètre externe de 0,63 mm, le plus souvent, ou de 0,92 mm pour les enfants plus âgés. La ponction veineuse était réalisée avec un microperfuseur (ou aiguille à ailettes, voir illustration plus loin) de taille 19G (diamètre 1 mm) pour le petit cathéter et de 16G (diamètre 1,6 mm) pour le cathéter plus gros. Le prolongateur du microperfuseur était coupé et le cathéter était introduit au travers de l’aiguille avec des pincettes. L’hôpital achetait des rouleaux de tube silicone à Dow Corning, les tubes étaient recoupés en longueur de 50 cm, mis sous double emballage et stérilisés par autoclave.

Pour éviter que la poudre des gants n’adhère à la surface du cathéter, ce qui aurait provoqué une thrombophlébite, les gants étaient rincés 3 fois avec de l’eau distillée. Pour contrôler la position du cathéter, Shaw recommandait de toujours effectuer un contrôle radiographique après avoir rempli le cathéter d’agent de contraste. Le microperfuseur utilisé comme introducteur était retiré et un autre microperfuseur, plus petit, de taille 25G (0.5 mm de diamètre) était utilisé pour connecter le cathéter au dispositif de perfusion. Un petit tube en PVC de quelques centimètres était monté sur l’extrémité proximale du cathéter, le cathéter était ensuite connecté à l’aiguille du microperfuseur 25G et le tube en PVC venait recouvrir l’ensemble, pour éviter que l’aiguille ne perfore le cathéter en silicone. Un pansement était enfin appliqué au point de sortie cutané du cathéter.

Le filtre et le flacon contenant la solution intraveineuse étaient envoyés quotidiennement au laboratoire pour y être cultivés. Le cathéter en silicone n’était utilisé que pour l’alimentation parentérale. S’il était nécessaire de perfuser autre chose, un autre dispositif était utilisé. Si la perfusion durait plusieurs semaines, Shaw recommandait de changer le cathéter tous les 20/30 jours. La principale complication était l’infection non seulement du cathéter mais aussi de la solution perfusée.

Installation de la ligne de perfusion (selon Shaw)

En 1973, lorsque Shaw a publié son article, il reconnaissait que la NPT ne pouvait pas être utilisée à grande échelle, qu’elle ne devait être mise en œuvre que par des unités bien équipées et dotées d’un personnel abondant et bien formé, mais il prévoyait déjà que la NPT gagnerait une place importante dans le traitement des enfants malades de faible poids. (5)

Création du cathéter Epicutanéo-cave Vygon

C’est l’article de J. Shaw qui a conduit Vygon à créer le cathéter Epicutanéo-cave en 1976, code 2184.06 (voir dessin). Le cathéter était en silicone non radio-opaque, d’une longueur de 30 cm et d’un diamètre externe de 0,6 mm, qui était inséré avec une aiguille à ailettes de 19G (l’aiguille actuelle). Le raccordement au dispositif de perfusion se faisait à l’aide d’un microperfuseur 27G dont on avait retiré le biseau de l’aiguille pour réduire le risque de perforation du cathéter. Ce produit a été vendu jusqu’en 2017, mais en petites quantités ces dernières années.

Le produit que nous connaissons aujourd’hui, le code 2184.00, est apparu au début des années 1980.

Depuis sa commercialisation, il s’est vendu par millions d’unités dans le monde entier, bien qu’aujourd’hui, Premicath se vende beaucoup plus que l’Epicutanéo-cave. Ce produit est toujours un fleuron de la gamme Vygon des PICC néonatals. Les utilisateurs apprécient son matériau souple et non traumatisant ; le cathéter flotte dans le sang, ce qui limite les dommages à l’endothélium vasculaire et, compte tenu des tissus extrêmement fragiles des prématurés/nouveau-nés, limite le risque d’érosion de la paroi veineuse, sa perforation, le risque d’épanchement péricardique et la tamponnade cardiaque.

Les travaux de Jonathan Shaw ont apporté une contribution essentielle au développement de la nutrition parentérale totale pour les nouveau-nés et à la mise au point de cathéters veineux centraux néonatals introduits par voie périphérique. Ce type de cathéter, ce cathétérisme pratiqué sur les nouveau-nés :

- réduit les risques liés à la ponction des veines du cou ou du thorax (pneumothorax, hémothorax, lésion d’un nerf du plexus brachial…)

- permet une durée de traitement par voie intraveineuse beaucoup plus longue qu’avec un cathéter ombilical

- Alors que les cathéters courts et les aiguilles épicrâniennes (dont le matériau rigide est traumatisant pour les veines des nouveau-nés) ont une durée de vie très courte chez ces patients (de 30 à 60 heures en moyenne), ce qui implique :

. des ponctions répétées qui sont très douloureuses et traumatisantes. A cet égard, on sait que ces douleurs répétitives, ressenties dans les premières étapes de la vie de l’enfant, ont des impacts ultérieurs tels que des difficultés comportementales et émotionnelles pendant l’enfance, tendance à une psychose majeure, des syndromes de douleur insolubles…

. un risque élevé d’infiltration et d’extravasation (perfusions hors de la veine)

. des interruptions fréquentes de la thérapie intraveineuse avec risque d’hypoglycémie, de déshydratation,

. un risque élevé de phlébite et d’érythème (irritation de la veine, rougeur)

. l’épuisement des veines périphériques

. le risque de ponction artérielle

. ne pas pouvoir perfuser des solutions hyperosmolaires et des médicaments dont le pH est inférieur à 5 ou supérieur à 9, car les petites veines périphériques des bras ou jambe du bébé ne tolèrent pas ces fluides trop agressifs

Avec un PICC néonatal comme l’Epicutanéo-cave, avec lequel la perfusion est faite dans la veine cave supérieure ou inférieure (veine ayant un calibre beaucoup plus gros, où le flux sanguin est plus important ce qui permet de diluer plus rapidement ces solutés) , il n’y a pas de limitation au type de fluide (médicament ou solution) dont l’enfant a besoin, et tous les problèmes (mentionnés ci-dessus) qui se produisent avec les cathéters courts ou les aiguilles épicrâniennes sont évités. Tout cela améliore clairement le résultat clinique et contribue au succès de la thérapie appliquée à l’enfant.

C’est tout cela que nous devons au Dr Jonathan Shaw et son héritage, 50 ans après son invention, reste toujours présent dans les unités de réanimation et soins intensifs néonatals.

Gesuino Mureddu

Pole of Medical & Scientific Expertise

Sources:

(1) History of Parenteral Nutrition — SJ Dudrick — Journal of the American College of Nutrition — Vol. 28–2009

(2) Growth of Puppies Receiving all Nutritional Requirements by Vein — SJ Dudrick et al. — Fortschr Parenteral Ernährung, 2, 1967

(3) Growth and Development of an Infant receiving All Nutrients Exclusively by vein — DW Wilmore, SJ Dudrick — JAMA, Vol. 203, 1968

(4) Origins of Neonatal Intensive Care in the UK — Seminar held in London in 1999. Transcript edited by DA Christie and EM Tansey

(5) Parenteral Nutrition in the Management of Sick Low Birthweight Infants — JCL Shaw — Pediatric Clinics of North America — Vol. 20, 2, 1973

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